Du miel de montagne au digital haut de gamme
Quand développer en ligne rime avec préserver ses partenariats
Pour la petite histoire...
Marché de Laruns, au mois de mai. Jean tient un stand bien fichu, quelques pots de miel alignés avec soin. Il n'est pas là toutes les semaines, juste de temps en temps pour garder le contact avec sa clientèle. On goûte son miel de châtaignier. Excellent. On bavarde parcours, tech, reconversion...
Il le dit en rigolant, mais c'est ce qu'il pense. Une heure plus tard, au bistrot de la place, on fait des calculs sur nos téléphones. Entre ses essais-erreurs digitaux et quelques mois d'accompagnement, l'équation fonctionne.
Méthodologie et confidentialité
Cette étude de cas restitue une situation réelle d'accompagnement dans le respect total de la confidentialité. Les éléments sectoriels et organisationnels sont factuels, les éléments identifiants sont masqués ou généralisés.
L'objectif est d'illustrer comment un travail de clarification stratégique, mené dans la confiance mutuelle entre dirigeants, peut débloquer des situations complexes et ouvrir la voie à une mise en œuvre efficace par des spécialistes appropriés.
Il n'y a pas de méthode standardisée, mais une conviction : avant de traiter les symptômes organisationnels ou commerciaux, il faut souvent clarifier les questions stratégiques que le dirigeant ne peut poser nulle part ailleurs. Une fois cette clarté acquise, les expertises spécialisées peuvent déployer pleinement leur efficacité.
Le piège de la réussite établie
Didier, ça fait dix ans que je travaille avec les mêmes enseignes. Mon miel se vend bien, j'ai mes habitudes, mes marges... mais je vois mes concurrents se développer en direct consommateur et moi je reste sur place. Le problème, c'est que si je me lance en ligne, j'ai peur de foutre en l'air mes relations avec mes distributeurs.
Premier échange avec Jean, apiculteur dans le Haut Béarn depuis une dizaine d'années. Quarante-deux ans, reconversion professionnelle réussie après quinze ans dans l'informatique. Une exploitation de taille moyenne qui génère environ 200 000 € de chiffre d'affaires annuel.
Le contexte business : Une activité rentable mais pas "fofolle" selon ses mots. Un réseau de distribution bien établi avec trois grandes enseignes et leurs réseaux de distributions locales qui représentent 90% de son chiffre d'affaires. Des marges correctes mais serrées par la pression concurrentielle. Une notoriété locale solide grâce à la qualité de ses produits de montagne.
La vraie question : Comment développer une activité digitale haut de gamme sans compromettre un écosystème commercial qui fonctionne ? Et surtout, comment savoir si le jeu en vaut la chandelle ?
Entre tradition et innovation
J'ai tout pour réussir en ligne : je maîtrise l'informatique, je sais faire de belles photos de mes ruches en montagne, mon produit est authentique... Mais je ne sais pas par où commencer. Site web ? Réseaux sociaux ? Marketplace ? Et surtout, est-ce que ça va pas me prendre trop de temps par rapport au retour ?
Cette réflexion illustre parfaitement la situation de nombreux dirigeants de PME artisanales. Ils ont les compétences techniques pour se digitaliser, mais manquent de vision stratégique pour le faire efficacement.
Les atouts de Jean : Une expertise métier reconnue, des compétences techniques transférables (photo, informatique), un produit authentique avec une vraie histoire (miel de montagne des Pyrénées), et une capacité à développer une gamme élargie (pollen, propolis, etc.).
Les freins identifiés : La peur de cannibaliser ses partenaires existants, l'incertitude sur la rentabilité du digital, et surtout l'absence de stratégie claire pour articuler les différents canaux.
Les questions qu'il ne pose pas à ses distributeurs
Mes acheteurs en GMS me disent toujours que le marché du miel se tend, que les consommateurs regardent d'abord le prix. Mais moi, je vois des miels artisanaux se vendre 25 euros le pot sur internet. Il y a un truc que je ne comprends pas.
Ce décalage entre le discours de ses distributeurs et la réalité du marché haut de gamme révèle un enjeu stratégique majeur : Jean évolue dans deux écosystèmes commerciaux différents, avec des logiques distinctes.
La logique GMS : Volume, prix compétitif, rotation rapide, standardisation. Les acheteurs raisonnent en termes de marge par mètre linéaire et de concurrence avec les grandes marques.
La logique premium direct : Qualité, histoire, authenticité, expérience client. Les consommateurs sont prêts à payer pour une différence perçue et une relation directe avec le producteur.
Le nœud du problème : Comment faire coexister ces deux logiques sans que l'une nuise à l'autre ?
Le processus de clarification
Identifier ce qui ne change pas
Qu'est-ce qui fait que vos clients vous restent fidèles depuis des années ?
Cette question simple a permis d'identifier le vrai différenciant de Jean : l'authenticité. Pas seulement du produit, mais de la démarche. Ses clients ne viennent pas juste acheter du miel, ils achètent l'histoire de l'apiculteur de montagne.
- La qualité constante : Ses miels ont le même goût d'une année sur l'autre, malgré les variations météo. Un savoir-faire qui se sent.
- La proximité avec le terroir : Jean connaît ses ruches, ses emplacements, ses floraisons. Il peut raconter l'histoire de chaque pot.
- La relation directe : Même en GMS, les clients reconnaissent "le miel de Jean". Les gérants le savent et mettent en avant cette origine locale.
Comprendre ce qui évolue vraiment
Le marché du miel change, mais pas forcément comme le disent les distributeurs. En creusant, on découvre des tendances contradictoires :
- La polarisation du marché : D'un côté, une course au prix bas avec des miels industriels. De l'autre, une demande croissante pour l'authentique, le traçable, l'artisanal.
- Le digital comme amplificateur : Les consommateurs recherchent l'histoire du produit, veulent voir les ruches, comprendre le processus. Instagram n'est pas juste un canal de vente, c'est un média pour raconter son métier.
- La saisonnalité valorisée : Contrairement à l'industrie qui standardise, les consommateurs haut de gamme cherchent la variation, l'exclusivité, le "miel de la récolte de juin".
Définir la stratégie sans perdre l'identité
Un jour, vous m'avez demandé : "Au fond, qu'est-ce que vos clients achètent vraiment ?" J'ai répondu "du miel". Vous m'avez dit : "Vous êtes sûr ?" Ça m'a pris du temps pour comprendre qu'ils achètent un morceau de montagne, une histoire d'authenticité.
Cette prise de conscience a marqué le tournant de notre réflexion. Ni révolution, ni copie de ce qui se fait ailleurs. Une stratégie cohérente avec ce que Jean fait déjà naturellement.
L'idée centrale : Créer un canal digital complémentaire plutôt que concurrent
Les résultats concrets
Croissance digitale
+25% de CA en 18 mois grâce au canal direct, sans perte sur le réseau existant
Relation distributeurs
Renforcement des partenariats GMS grâce à une notoriété accrue
Marges améliorées
Marge nette globale +8 points grâce au mix de canaux optimisé
Positionnement renforcé
Reconnaissance "apiculteur premium" dans tout le Béarn
Le plus drôle, c'est que mes distributeurs sont contents. Ils me disent que depuis que je suis "connu" sur internet, leurs clients leur parlent de mon miel. Ça valorise leur offre locale.
La mise en œuvre concrète
Timeline de déploiement :
Mois 1-2 : Création contenu Instagram (photos ruches, process, récoltes). Première communauté de 300 abonnés locaux.
Mois 3-4 : Lancement "Miel de la récolte de juin" en exclusivité digitale. 50 pots vendus en 10 jours.
Mois 5-8 : Développement gamme exclusive : mélanges saisonniers, coffrets découverte, visites d'exploitation.
Mois 9-12 : Site web professionnel avec appel à un copywriter pour les textes. Jean maîtrise la technique mais pas l'art d'être bref et percutant dans ses descriptions produits.
Mois 12-18 : Développement produits dérivés (cosmétiques au miel, savons), formation à l'apiculture.
Les enseignements transférables
- Ne pas opposer digital et traditionnel : Les canaux peuvent se renforcer mutuellement si on définit des propositions de valeur complémentaires.
- Commencer petit pour voir grand : Tester son marché avec des moyens limités avant d'investir massivement. Jean a validé son concept avec un smartphone et Instagram.
- Respecter ses partenaires existants : La transparence avec ses distributeurs a permis de préserver les relations. Ils sont devenus des alliés plutôt que des freins.
- Valoriser l'authentique plutôt que copier : Jean n'a pas essayé de devenir un "influenceur miel". Il a raconté son histoire d'apiculteur de montagne, naturellement.
- L'expertise technique ne suffit pas : Savoir faire de belles photos ne garantit pas le succès commercial. Il faut d'abord clarifier sa stratégie.
- Mesurer ce qui compte : Pas seulement le CA digital, mais l'impact global sur la rentabilité et la pérennité de l'activité.
Maintenant, quand quelqu'un me demande conseil pour se lancer en ligne, je lui dis : "D'abord, dis-moi ce que tu vends vraiment. Parce que c'est peut-être pas ce que tu crois."
Votre entreprise entre tradition et digital ?
Analysons votre potentiel