Didier Huc - Stratégie
De la complexité à la clarté décisionnelle
Réflexion stratégique 3 septembre 2024 Temps de lecture : 6 min

Bonnes causes VS Retour / Investissement :
Le match de l'année

Prenons le cas d'une multinationale tech française que nous appellerons GlobaTech. En 18 mois, cette entreprise de 15 000 salariés est passée de pionnier à prisonnier de sa propre communication.

Janvier 2023 : initiative "Pride & Progress", 2 millions d'euros. Juin 2023 : escalade avec "WomenTech" (+800 000 euros). Septembre 2023 : gestion de crise, client majeur menace de partir. Décembre 2023 : paralysie totale, quatre initiatives simultanées. Juin 2024 : réveil brutal.

L'addition finale : 5 millions d'euros investis, 45 millions perdus en chiffre d'affaires, 50 postes d'ingénieurs non pourvus. Question du PDG : "Combien d'ingénieurs on aurait pu recruter avec ça ?" GlobaTech n'est pas un cas isolé.

Quand les mastodontes trébuchent

Target (n°2 de la distribution aux États-Unis derrière Walmart) a perdu plus de 5% de son chiffre d'affaires au deuxième trimestre 2023 suite au tollé de sa collection Pride (vêtements arc-en-ciel et produits LGBT+). Le cours de l'action a chuté de 15%, effaçant 15,7 milliards de dollars de capitalisation. Target a d'abord fait face aux attaques extrêmement virulentes des conservateurs contre cette collection. Puis, en retirant certains produits sous la pression, l'entreprise a déclenché un second clash avec sa clientèle de la communauté LGBT+. Résultat : un double clash d'image et un PDG contraint de "repenser" publiquement la stratégie d'ouverture de l'entreprise (à l'américaine comme on dit !).

Bud Light raconte une histoire similaire mais plus dramatique encore. Anheuser-Busch a perdu 1,4 milliard de dollars suite au scandale déclenché par le partenariat avec l'influenceuse trans Dylan Mulvaney. Bilan : Bud Light perd son statut de bière n°1 aux États-Unis après plus de 20 ans de domination, détrôné par Modelo Especial. Cerise sur le gâteau : l'abandon total de Dylan Mulvaney par la marque a créé un second séisme dans la communauté LGBT+. Un an après : toujours aucun rebond des ventes.

Le modèle est désormais identifiable. Objectif initial : séduire de nouvelles cibles, particulièrement les jeunes générations. Résultat systématique : aliénation de tous les publics. Coût final : bien au-delà du budget marketing initial, avec des dégâts collatéraux impossibles à anticiper.

Autopsie d'une cause perdante

Pourquoi cette mécanique produit-elle souvent des désastres ? Une étude McKinsey 2024 révèle que 60% des initiatives "sociétales" d'entreprises échouent à générer un ROI positif. Trois mécanismes convergent, particulièrement sur les sujets LGBT+, diversité et climatiques - les plus polarisants.

L'illusion de la cause rentable : le mythe veut que "les jeunes achètent aux marques engagées". La réalité révèle un engagement superficiel face à des boycotts organisés et durables.

L'escalade mécanique : une fois lancée, la machine ne s'arrête plus. "Si on fait Pride, pourquoi pas les femmes, l'écologie ?" Chaque initiative appelle la suivante dans une fuite en avant épuisante.

L'épuisement organisationnel : temps de direction détourné du business, équipes communication en surchauffe, paralysie décisionnelle. L'impossible authenticité finit par éclater : comment être "pionnier" sur des sujets déjà grand public ?

L'addition salée des coûts cachés

Au-delà du budget marketing se cachent des coûts que les entreprises découvrent toujours trop tard.

Coûts directs : budgets détournés, consultants en gestion de crise, perte de chiffre d'affaires avec les clients sensibles.

Coûts indirects : temps de direction mobilisé (une journée par semaine chez GlobaTech), turnover des équipes (+30%), paralysie décisionnelle pendant les crises.

Coût d'opportunité : chez GlobaTech, 5 millions d'euros = 50 postes d'ingénieurs non pourvus. Question finale : "Quel était le vrai problème à résoudre ?" Le ROI reste introuvable.

Stratégie 3-5 ans : sortir du piège

Comment éviter cette spirale destructrice ? Quatre principes pour une approche rationnelle.

Sélectivité radicale : maximum deux causes, alignées sur métier et valeurs historiques. Test : "Si on ne le faisait pas, perdrait-on vraiment des clients ?"
Exemple : Patagonia et l'environnement depuis 40 ans, cohérence totale entre discours et modèle économique.
Contre-exemple : Ben & Jerry's assume ses positions progressistes depuis sa création, quitte à subir des boycotts - mais reste cohérent avec son ADN de marque alternative.

Investissement profond : préférer 1 million sur cinq ans à 5 millions sur un an. Mesurer l'impact réel, pas le buzz. Former en interne avant de communiquer.

Test de résistance : simulation de crise avant lancement, plan B en cas de tollé, seuils clairs pour un retrait.

Gouvernance dédiée : comité spécialisé avec membres indépendants, budget plafonné, reporting séparé. Trois questions : cette initiative sert-elle notre business dans cinq ans ? Sommes-nous prêts à l'assumer en cas de changement politique ? Avons-nous les ressources pour être authentiques ?

Ma conclusion

L'enjeu n'est plus de savoir s'il faut prendre position, mais comment échapper au piège des causes volatiles.

Une seule voie est solide : la sélectivité assumée.

On assume ses valeurs et on s'y tient, et si elles ne sont pas dans l'air du temps... on choisit un autre axe de communication.

Cette réflexion fait écho à vos défis de dirigeant ?

Échangeons sur vos enjeux

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